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CLAIRE ATGER, BOTANISTE SPÉCIALISTE DU DÉVELOPPEMENT DE L'ENRACINEMENT DES ARBRES, BUREAU D'ÉTUDES POUSSE CONSEIL « Je regrette que l'arbre soit la variable d'ajustement des aménagements »

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La récente plantation de deux gros arbres en région parisienne (le Lien horticole n° 838 du 10 avril 2013, p. 4) vous a fait réagir. Ils n'ont pour vous aucun avenir. Pourquoi ?

J'ai été choquée par quelques affirmations qui démontrent une méconnaissance du sujet. Si on prend en compte la séquence de développement de ces jeunes chênes, ils grandiraient encore et verraient la forme typique de leur cime se construire par l'installation de branches maîtresses. Or, ces sujets n'évolueront que très peu car les transplantations stoppent leur développement. Ils n'auront pas l'architecture de chênes adultes. Par ailleurs, la reprise ne sera pas accomplie en quatre à cinq ans. Loin de là ! Ces arbres de 20 m de haut avec une motte de 2,50 m de diamètre et un tronc de 50 cm de diamètre ne seront pas stabilisés en deux ans. Affirmer ceci est équivoque. L'ancrage et le haubanage, le dopage en eau et en engrais n'empêcheront pas la dégradation, le lent dépérissement et les risques de rupture qui l'accompagnent. D'ailleurs, l'enlèvement du bois mort fait partie de l'entretien. C'est curieux de l'évoquer si tôt et plus que l'arrosage ! Non ?

Lorsqu'un arbre se trouve au milieu d'un chantier, on le transplante parfois. Est-ce toujours une aberration ?

Les transplantations de très gros sujets sont onéreuses pour une reprise souvent limitée. Et plus ils sont gros, moins ils reprennent. Techniquement, c'est absurde. Qu'un amoureux fou de son arbre veuille le déplacer pour le sauver, c'est une chose qu'on doit tolérer faute de la comprendre car l'investissement permettrait de replanter des dizaines de jeunes sujets d'avenir et c'est une drôle de manière d'aimer un arbre que de le mutiler et de le voir souffrir et réagir... Mais l'être humain aime sentir son pouvoir sur la nature et refuse de plier à ses lois. Que les collectivités investissent l'argent du contribuable dans de telles opérations me paraît nettement moins défendable vue l'espérance de vie en milieu urbain. La ville de Paris en est arrivée à la conclusion que la transplantation des gros sujets n'était pas intéressante. Il suffit de regarder les pratiques dans le midi de la France (gare d'Avignon, mairie de Montpellier, Alès et son magnolia...) pour constater que le climat se charge très vite de démontrer qu'un arbre a besoin de tout son système racinaire pour s'alimenter en eau et survivre, et que sur les gros sujets le dopage n'y change pas grand-chose à terme. Ce qui me révolte ici, c'est qu'on ne sauve pas un arbre mais qu'on va l'acheter à prix d'or car on ne peut pas attendre qu'un jeune s'installe.

Quelle est la taille maximale d'arbres que vous préconisez de planter ?

Nos diagnostics et recherches sur différents aménagements paysagers et sites expérimentaux (Lyon, Saint-Quentin-en-Yvelines...) démontrent que plus l'arbre est planté jeune, plus ses performances de reprise sont bonnes car les racines de faible diamètre sont capables de cicatriser et de se régénérer après la taille. Plus il vieillit, plus son enracinement s'élargit, plus ses racines deviennent grosses et plus elles sont taillées et rabattues. Or, l'arbre n'a jamais aimé qu'on lui taille les racines (pas plus que les tiges d'ailleurs). Au-delà de 5 cm de diamètre, une racine a beaucoup de mal à cicatriser et à se régénérer. Le principe est donc de tailler de manière répétée pour empêcher le développement racinaire en demandant au houppier de faire comme si de rien n'était grâce aux arrosages, aux engrais. Sorti de la pépinière, le gros arbre mutilé survit un temps mais ne régénère pas son enracinement : la première alerte météo (sécheresse ou coup de vent) signe son arrêt. À la Cité internationale de Lyon, nous avons suivi plus de 700 sujets et 28 espèces plantés sur quinze ans. En dix ans, de jeunes plants de deux à trois ans ont rattrapé leurs voisins plantés en motte en 20-25 ou 25-30. Les sujets en motte ont traversé les deux étapes de la crise de transplantation que sont l'altération puis la réaction avant d'amorcer leur régénération. Plus la force de plantation est faible (baliveau jeune tige), plus ces deux étapes sont fugaces, voire inexistantes. Plus la force est élevée, plus le sujet se pérennise dans un état de dégradation-réaction sans se régénérer. Il ne s'agit pas d'espérer le chiffre clé pour toutes les espèces mais de retenir que la reprise devient délicate quand le sujet n'est plus commercialisé en racine nue et toujours difficiles pour des forces supérieures à 16-18.

Quel regard portez-vous sur les plantations dans les chantiers d'espaces verts ?

Je regrette que l'arbre, élément biologique qui passe les générations et force le respect du public, devienne l'élément jetable et la variable d'ajustement des aménagements à l'ère du développement durable, de la ville bioclimatique, de l'écocité, des trames vertes, des corridors et de tout ce vocabulaire très porteur d'idées mais moins de concrétisations. Sur les projets urbains qui nous entourent, le végétal est comme une peinture. Or, comme le dit le botaniste Francis Hallé : « Sans végétal, que serait la ville ? » Parce que l'arbre coûte moins cher que le revêtement minéral ou le mobilier urbain, il semble qu'il faille faire dans l'exception et le très cher pour que son cas soit pris en considération : le gros sujet « exotique » que l'on transplante. Quelle aberration !

Et sur le patrimoine arboré des collectivités ?

Toutes n'ont pas les mêmes moyens et chacune fait selon les siens. Mais justement, les plus grandes ou les plus riches ou les plus compétentes devraient tuteurer les plus petites ou les plus pauvres et leur transmettre certains savoirs et savoir-faire. C'est un peu l'objectif des structures comme Plante et Cité...

Quels sont les points qu'il conviendrait d'améliorer ?

Il y en a beaucoup, dès la production. Ils concernent les producteurs comme les maîtres d'oeuvre, d'ouvrage ou les entreprises. Mais l'important serait de refaire naître la nature en ville : une forêt ne se développe pas en un jour. C'est une succession d'espèces qui chacune prépare le terrain pour la suivante et la protège dans son jeune âge. Pourquoi ne pas intégrer ce paramètre dans les aménagements à venir, ce qui nous permettrait de planter aussi petit et durable ! Parfois, il suffit d'un ou deux élus vraiment et durablement mobilisés pour améliorer la qualité des réalisations paysagères pourvu que les techniciens chargés de ces dernières aient les compétences et les moyens : ce résultat s'obtient progressivement, avec humilité, lentement, un peu comme pousse un arbre...

Propos recueillis par Pascal Fayolle

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